Auteur : Dr Christiane Bopp-Limoge, psychiatre, psychothérapeute, pour REINFOSANTÉ
Date : 20/06/21
Temps de lecture : 5 minutes


Vous aimez manger sucré ? C’est votre saveur préférée ? Pourtant, vous entendez dire qu’il faut éviter le sucre ? Entre envie, désir, besoin, addiction, où en êtes-vous ? Votre conjoint, votre enfant est quelqu’un qui raffole de sucré, et cela vous inquiète ? Vous aimeriez comprendre ?

Dans cet article, vous trouverez des repères pour faire le point.

Vous trouverez aussi des idées à expérimenter, quand l’appel du sucre se déclenche, pour faire en sorte que les trois étages du cerveau restent connectés. Autrement dit, vous pourrez expérimenter comment faire pour permettre à votre cerveau cortical, votre cerveau émotionnel et votre cerveau reptilien de continuer à faire équipe.

Avoir envie, désirer…

Désirer est un puissant moteur pour agir dans la vie.

Le monde des désirs, c’est celui que gouvernent surtout le cerveau cortical et le cerveau émotionnel.

C’est essentiellement, avec le cerveau cortical, que nous pensons, nous parlons, nous créons. Si notre cerveau cortical est en lien avec notre cerveau émotionnel et notre cerveau reptilien, alors, nos pensées, nos paroles, nos actions, nos créations sont puissantes et adaptées aux circonstances. Nos envies ou désirs de sucre sont équilibrés avec d’autres envies ou désirs de saveurs, d’odeurs, etc., selon les circonstances, les saisons, etc. Les aliments sucrés sont choisis et variés. Les fantaisies, les lubies du moment sont réalisées.

Avoir besoin de… 

L’envie ou le désir de sucre peuvent devenir un besoin de sucre. Le monde des besoins, c’est celui que gouverne surtout le cerveau reptilien. Le cerveau reptilien est la partie du cerveau la plus ancienne, c’est celle qui gouverne les actions automatiques du corps pour rester en vie, en s’adaptant à l’environnement : manger, boire, respirer, éliminer, maintenir sa température, s’activer, se reposer, vivre des relations constructives avec d’autres, se reproduire, réagir face à une menace vitale [1]. Ce sont les « besoins primaires ».

Le besoin de sucre peut venir d’une chute du taux de sucre dans le sang (hypoglycémie) parce qu’on a jeûné un peu trop longtemps ou bien parce que le corps a un problème de gestion du sucre (diabète) ou encore, parce que l’on a pris des médicaments qui font baisser un peu trop le taux de sucre.

Mais le plus souvent, un besoin de sucre en cache un autre : un besoin primaire non satisfait depuis un moment ou de manière répétée.

En effet, quand un besoin primaire n’est pas satisfait dans l’immédiat, en raison des circonstances, par choix ou pas, il faut parvenir à le satisfaire rapidement, car il en va du maintien de l’équilibre de la vie (l’homéostasie). Sinon, ça devient toxique : par stress, les connections entre les trois étages du cerveau deviennent moins efficaces, pour éviter de ressentir l’inconfort. Pendant ce temps, le cerveau reptilien est à haut risque de s’emballer, déclenchant une cascade de réactions [2].

Pour tenter d’éviter cela, un besoin de sucre peut surgir. Le satisfaire, en avalant du sucre à ce moment-là, peut apaiser un moment.

Là où l’envie, le désir de sucre, se satisfaisait dans une recherche de choix d’aliment sucré, le besoin de sucre conduit à prendre ce qui se trouve de sucré sous la main, sans choisir.

Là où l’envie, le désir de sucre, se satisfaisait avec une certaine conscience de l’instant, le besoin de sucre se fait plutôt dans un état d’absence à l’instant présent.

Là où l’envie, le désir de sucre, survenait sur un terrain émotionnel calme, joyeux ou enthousiaste, le besoin de sucre surgit au milieu de sensations et d’émotions moins agréables, ou d’un état préoccupé, agité ou anesthésié, de pensées envahissantes.

Satisfaire ce besoin de sucre fait illusion un moment, mais pour autant, cela ne résout pas le besoin primaire non satisfait à la base. D’autres « besoins-illusions » pourraient apparaître aussi. Parmi les « besoins-illusions », le besoin de sucre surgit surtout quand le besoin primaire de vivre des relations constructives avec d’autres n’est pas satisfait. Par exemple, quand on ne se sent pas dans la norme, pas à la hauteur, quand on n’arrive pas à se faire comprendre, quand on n’arrive pas à trouver sa place avec l’autre, quand on n’arrive pas à être soi-même dans la relation à autrui. Derrière un besoin de sucre, il y a souvent un besoin de tendresse non satisfait, tendresse attendue de l’autre, mais aussi tendresse non donnée à soi-même.

Être addict au sucré

Quand satisfaire un besoin de sucre prend beaucoup, beaucoup de temps dans la journée de la personne, empiétant sur d’autres préoccupations, devenant la priorité des priorités, même quand les effets deviennent néfastes, on est devenu addict. L’addiction au sucre est puissante. Beaucoup plus puissante que l’addiction au tabac ou à d’autres produits. Quand l’addiction au sucre est associée à une envie ou à un besoin de manger des produits gras, il faut penser à rééquilibrer son microbiote intestinal. Car il y a fort à parier que des micro-organismes dans l’intestin cherchent à se nourrir de gras-sucré.

Expérimenter le travail en équipe des trois cerveaux

Dans l’après-coup d’une collation sucrée :

Tranquillement et confortablement installé.e dans un endroit qui vous plaît, revoyez, en pensée, le film de ce qui s’est passé pendant, avant et après votre dernière collation sucrée :

Pendant : Quel aliment sucré ? Comment s’est fait le choix ? Dans quelle ambiance ? Quelles sensations ? Quelles émotions ? Des pensées ?

Avant : Que faisiez-vous ? Où étiez-vous ? Quelles sensations ? Quelles émotions ? Était-ce agréable ? Ou pas ?

Après : Qu’avez-vous fait, pensé, senti ?

Observez-vous en train de vous observer ainsi : peut-être que des jugements arrivent ? Des émotions ? Des sensations ? Si possible, accueillez cela, comme un spectateur.

Puis revenez à l’instant présent : portez votre attention sur ce que touchent les différentes parties de votre corps et le contact avec l’air ambiant, observez le va-et-vient de votre respiration, écoutez le son qu’elle fait, puis les sons ambiants, les couleurs ambiantes, percevez le goût que vous avez dans la bouche. Puis, quand vient le moment pour vous, observez-vous et ressentez-vous en train de commencer à bouger. Remerciez-vous de vous êtes accordé.e cette prise de recul pendant laquelle ont fait équipe votre cerveau cortical, votre cerveau émotionnel et votre cerveau reptilien. Et repartez vaquer à vos occupations.

Quelques expérimentations de ce style, rapprochées dans le temps, ont pour effet de créer des connections préférentielles entre vos neurones. Ces connections vont vous être très utiles pour passer à la phase suivante, qui est de vous observer quand l’appel du sucre arrive.

Au moment de « l’appel du sucre »

Petit à petit, après avoir expérimenté ce qui précède, vous devenez capable d’observer ce qui se trame en vous à ce moment précis de l’appel du sucre. Alors, petit à petit, vous devenez capable de faire le choix d’y céder, ou pas. Et si vous avez détecté que cet appel du sucre est, à ce moment-là, un besoin-illusion, cherchez comment satisfaire le besoin primaire sous-jacent qui attendait depuis un moment.

Une suite ?

Comme le besoin de sucre surgit surtout quand le besoin primaire de vivre des relations constructives avec d’autres n’est pas satisfait. Dans un autre texte, vous pourrez trouver un guide pour expérimenter, comment tenir compte des besoins dans la relation à l’autre et comment faire avec les choix nécessaires, et à quoi ça sert.

À Retenir

 Envie, désir de sucreBesoin de sucreAddict au sucre
Aliments sucrésChoisis, variétéPeu importe, ce qu’il y a sous la mainPeu importe, mais souvent associés à des aliments gras
Avant : émotions, sensationsPlutôt agréablesPlutôt gênantes ou anesthésiePlutôt gênantes ou anesthésie
État mentalDans l’instant présentAbsent à l’instant présentLa priorité des priorités est d’ingérer du sucré

Références

[1] Vous trouverez une synthèse de différents auteurs, à propos des besoins, dans le glossaire du livre Accompagner les parentalités, le MOSIPE outil d’évaluation et d’intervention, Christiane Bopp-Limoge, Chronique sociale, 2013, p. 153-158
[2] Vous trouverez un modèle qui explique cela dans la BD : Emotions mode d’emploi, tome 3. Art-Mella, Éd. Pourpenser, 2020