Auteurs : Caroline Meyer, psychanalyste et psychosomaticienne, pour REINFOSANTÉ
Date : 26/09/21
Temps de lecture : 7 minutes

À L’ORIGINE…

La notion de lien social est, par définition, ce qui relie deux individus, premier groupe social élémentaire, leur assurant ainsi individuellement et collectivement, reconnaissance et protection mutuelle. De la sorte, le premier lien social qui s’établit est celui entre la mère et son fœtus. La mère reconnait l’existence de son enfant à venir d’un point de vue physiologique (dans son corps) et imaginaire dans ses rêveries, et le protège dans son ventre. Si le développement du fœtus semble se dérouler selon un programme immuable, le corps maternel interagit avec celui de son futur bébé, particulièrement lorsqu’il s’agit de ses émotions traduites par le rythme de sa respiration et celui de son cœur. Tout changement de rythme est perçu et vécu par le fœtus qui adapte le sien en conséquence. On pourrait dire alors que leur respiration se fait à l’unisson et que circule, entre eux, le « souffle de la vie ».

La naissance vient marquer la séparation des corps et l’autonomie somatique du nouveau-né : désormais, il respire seul. L’enfant devient un individu à part entière, avec ses propres singularités : il est unique, distinct et différent de sa mère et de son père. Pour autant, il reste lié à la famille qui le reconnait comme membre et répond ainsi à son besoin vital de reconnaissance – source de son identité et de son existence en tant qu’être humain – et à son besoin vital de protection, deux conditions au fondement de l’intégration sociale.

Devenu adulte, l’appartenance à la famille n’est plus le principal lien social et lien identitaire, mais c’est davantage la juxtaposition de groupes différents qui s’entrecroisent de façon unique en chaque individu, qui fonde son identité.

LA RESPIRATION COMME LIEN…

C’est peut-être à ce moment-là que la respiration réapparait comme lien social, comme lien au sein de chacun de ces groupes qui se réunit pour partager une même activité. Lorsque l’on chante dans un groupe ou que le public reprend le refrain d’un chanteur lors d’un concert, lorsque l’on danse dans une soirée avec des amis ou à un bal, lorsque l’on participe à une activité sportive de groupe (une marche, un cours yoga ou un sport d’équipe…), le groupe respire à l’unisson et se relie les uns aux autres, par un souffle commun. En cela, ils établissent un lien social dans le sens où ils témoignent de leur désir de vivre ensemble (du moins, le temps de leur activité), de leur volonté à se réunir et à créer une cohésion entre des individus qui seraient sinon dispersés.

Pour autant, est-ce que pratiquer une même activité à plusieurs suffit à dire qu’il y a lien social ? Cela sous tendrait-il que le lien social n’existe qu’au sein du semblable, de ce que partage en commun un groupe, là où on respire les mêmes traditions familiales, les mêmes goûts artistiques ou sportifs, ou bien la même cause politique ou religieuse ? Est-ce que le lien social lisserait les aspérités des singularités de chacun ?

LE LIEN DANS LA DIFFERENCE

C’est peut-être là que se profile le danger, celui de faire lien dans l’entre-soi, qu’avec le même que soi, celui qui partage les mêmes idées, les mêmes convictions, celui avec lequel on va vivre, on va respirer ensemble. Ce qui, finalement, pourrait s’apparenter à un mouvement régressif au stade néonatal : le corps, non plus de la mère et du fœtus, mais le corps de l’individu s’entrelace avec le corps social, gomme ce qui le caractérise pour devenir identique à celui de l’autre et porter ensemble le même maillot ! Ce phénomène de régression témoigne d’un mécanisme de défense face à une société dont les grandes institutions chargées de la socialisation des individus (famille, école, emploi, services publics) sont en crise et ne répondent plus aux besoins vitaux de reconnaissance, de protection et de solidarité.

La conséquence de ce repli archaïque sur soi, avec le même que soi, amène, de facto, le rejet de l’autre dans sa différence, qu’il s’agisse d’une différence d’idées, de croyances, allant jusqu’à une différence de races ou de sexes. Pour ces personnes, si la respiration est fluide avec le même, elle devient difficile et saccadée, voire angoissée avec l’autre différent.

Ce qui amène à s’interroger si le lien social est fondé sur la haine, c’est-à-dire, l’exclusion de ce qui est différent de soi, ou bien sur l’amour, c’est-à-dire, l’acceptation même de cette différence ?

La respiration représente peut-être la métaphore de l’enjeu qui se joue dans le lien social : que chacun puisse vivre sa singularité, respirer à son propre rythme, parfois coordonné avec celui de l’autre, parfois désynchronisé, et qu’il puisse se laisser « inspirer » pleinement par la différence de l’autre pour mieux se créer lui-même. C’est peut-être là la plus belle définition du couple : respirer à deux et non « comme un », parce qu’un couple c’est… deux !