Auteur : Guy Launer, masseur-kinésithérapeute, pour REINFOSANTÉ
Date : 30/09/21
Temps de lecture : 7 minutes


Avant de proposer une façon de vivre votre corps, j’avancerai quelques arguments permettant d’alimenter une tentative d’explication sur le comment notre système social en est arrivé au point où une partie de la population se trouve en confrontation avec l’autre. Puis je poserai la question concernant la santé en générale : sommes-nous en charge de notre santé ou bien la déléguons-nous ? Enfin pour aller dans le sens de l’appropriation de notre propre corps et de son interaction avec l’autre et notre environnement je suggère une pratique très concrète à consommer sans modération.

Une certaine dynamique de groupe

Pour préciser la situation actuelle 2 propositions se font face. L’une est une proposition technocratique où le maître mot est l’innovation, garant d’une progression économique et où ce qui est mis en avant est une espèce d’homme augmenté, capable grâce à la technologie de faire face à toute sorte de problèmes. La philosophie sous-tendue est celle du trans-humanisme. L’autre proposition est basée sur les associations synergiques entre les êtres humains, principes que l’on retrouve en permaculture : point n’est besoin d’être d’accord sur tout mais complémentaires quant au but poursuivi, celui qui permet la croissance, l’épanouissement de chacun. La première proposition voudrait pouvoir nier la mort, alors que la seconde affirme que la mort est une composante essentielle de la vie. De manière imagée nous pouvons voir ces 2 visions appliquées à la construction de murs, unités de bases pour des édifices plus importants. La vision technocratique voudra standardiser le process : des pierres bien calibrées et un mortier de hautes technologies et l’innovation avançant on pourra renouveler. La vision permaculturelle va plutôt construire des murs polygonaux de type de ceux construits par les Mayas : aucune pierre ne se ressemble mais elles sont toutes adaptées à leur environnement proche et aucun mortier n’est nécessaire ! Point n’est besoin de spécifier que les murs polygonaux résistent aux séismes … Dans la construction humaine la biodiversité et l’adaptation à son environnement sont une nécessité pour une société résiliente. Bien sûr il va sans dire que l’humanité est une « pierre » du vivant et doit donc s’intégrer harmonieusement dans l’équilibre naturel … comme les virus et les bactéries et le reste !

Dans un second temps il n’est peut-être pas inutile de formuler quelques analogies physiques pour comprendre l’organisation sociétale :

  1. – En mécanique quantique une particule dite libre peut occuper tous les niveaux d’énergie et ce de manière continue. A partir du moment où elles sont en interaction alors tous les niveaux ne sont pas accessibles et de plus ces niveaux sont quantifiés.
  2. – Sur Terre le nombre d’atomes connus est fini et ceux-ci sont classifiés dans le tableau périodique des éléments, le tableau de Mendeleïev. Chaque atome est composé d’un noyau et d’un nuage électronique. Chaque noyau est une agrégation de nucléons (protons et neutrons). La physique nucléaire nous apprend que l’interaction forte liant les nucléons confère au noyau sa stabilité. Dans la nature le maximum de cohésion est l’apanage du noyau de fer et plus nous intégrerons de nucléons dans le noyau et plus cette force de cohésion diminue (en raison de la portée de cette force et de l’existence d’une force électromagnétique répulsive entre les protons, pour faire simple) à tel point que, si le nombre de nucléons est trop grand, le noyau va avoir tendance à casser : c’est la fission du noyau responsable de la radioactivité.

De la 1ère remarque nous constatons qu’un groupe humain fonctionne nécessairement sur un ensemble de règles qui font consensus et ces règles sont nées du lien que les individus ont tissé pour vivre ensemble afin de faire face à un environnement avec lequel ils sont aussi en interaction. De la 2ème remarque on pourrait voir le parallèle avec le fait qu’un groupe a nécessairement une taille limite : tout seul nous pouvons faire ce que nous voulons, le rajout d’un individu supplémentaire (comme dans un couple par exemple) fait que des règles implicites vont s’établir pour cohabiter. Rajouter quelques individus pour former une communauté, d’autres règles vont venir réguler le fonctionnement du groupe. Et les règles choisies sont le dénominateur commun pour assurer l’harmonie du groupe. Dans ce groupe ainsi formé, imaginons d’autres individus voulant se greffer parmi eux. Il n’est pas inimaginable de penser que certains préfèreraient modifier certaines règles mais n’étant pas suffisamment nombreux, le principe « démocratique » fait que leur différence ne pourra être exprimée. Imaginons maintenant que de plus en plus de gens veulent intégrer le groupe : ce qui était minoritaire peut devenir audible donnant ainsi naissance à des tensions et le groupe, ayant atteint une taille critique, peut devenir « radioactif » et débuter un processus de fission !

Aujourd’hui nous arrivons à un point de bifurcation (au sens de la théorie du chaos) à partir duquel se déploie une ligne de démarcation séparant les 2 propositions sociétales mentionnées plus haut. Et cette séparation souligne bien le fait que ces deux mondes ne sont pas miscibles. Alors plutôt que d’aller à l’affrontement qui serait destructeur n’est-il pas souhaitable de cohabiter car malgré tout de la confrontation de ces deux mondes peut émerger quelque chose qui les transcende. D’ailleurs dans une vision alchimique nous parlerions de la cohabitation pacifique des contraires, préalable nécessaire à la réalisation de la pierre philosophale… tout un programme pour une véritable transmutation de l’espèce humaine !

Et la santé dans tout ça ?

Dans le cadre d’une santé intégrative, au sens de ReinfoSanté, chaque individu aura un point de vue sur la question : qu’est-ce que la santé et que préconisons-nous pour la conserver ? En tant que soignants, nous sommes confrontés à toute une panoplie de comportements. Cela va de ceux pour qui la santé est une charge du système social jusqu’à ceux qui ne consultent jamais même si parfois, pour continuer, une consultation serait appropriée. Il semble aussi important de réaliser qu’un soignant est finalement une sorte de béquille pour ses patients. Toute molécule chimique, tout exercice de rééducation fonctionnelle sont des formes de prothèse que l’on aimerait temporaires car qui souhaiterait passer sa vie avec un appareillage quelconque ou sous perfusion ? Il n’est bien entendu pas nécessaire de nier ces aides ou certains cas particuliers. Mais il ne faut pas oublier que pour la plupart de nos patients ces aides ne devraient pas avoir la vocation de s’éterniser. Une pratique honnête des soins que l’on procure voudrait que l’on responsabilise nos patients par rapport à ce qui les amène en consultation, et que chacun prenne conscience de son état, élément déterminant pour un parcours vers une plus grande autonomie. Force est de constater que beaucoup de nos patients récidivent ! Histoire de provoquer un peu : pourquoi leur donner des rendez-vous ? Pourquoi ne les laissons-nous pas prendre l’initiative de fixer eux-mêmes leur rendez-vous ? En tant que soignant est-ce leur santé qui nous tient à cœur ou est-ce notre portefeuille ? De même du point de vue du patient est-ce sa santé qui est importante ou le fait d’être remboursé par un système social de plus en plus défaillant ? Il est évident que ce n’est pas aussi simple que cette vision duale de la situation. Néanmoins il semble important que chacune et chacun d’entre nous se posent la question.

Se réapproprier son corps

Après cette longue introduction, nécessaire pour contextualiser mon point de vue,  je souhaiterais faire bénéficier de mon expérience acquise à travers ma pratique du tai chi, non pas pour faire l’apologie de cette discipline en diffusant un prosélytisme dogmatique, mais au contraire en permettant à celles et ceux qui sont attirés par cette pratique à découvrir des principes universels de fonctionnement du corps. Cette découverte ne passe pas par une forme spécifique car le tai chi, par essence les contient toutes. Le principe de base étant la mise en présence des complémentaires en même temps et c’est un élément extérieur qui permet la réponse appropriée de la confrontation des contraires. Cette réponse sera d’autant plus juste que si nous nous connaissons parfaitement, rejoignant ainsi la philosophie de la célèbre inscription gravée sur le fronton du temple de Delphes et développée par Socrate : « connais-toi toi-même ». A ne pas oublier l’extension de cette formule : « connais-toi toi-même et tu connaîtras l’univers et les dieux ». Le 1er travail consiste à renouer avec son corps, puis à en trouver le centre. A partir de là comprendre que pour avoir le haut il faut le bas, pour avoir la gauche il faut la droite, pour avoir l’avant il faut l’arrière : tout ça n’est possible que si la perception du centre est claire. Une fois que ceci se clarifie, il est nécessaire de se rappeler la 1ère action que chaque individu a entrepris dans ce monde c’est l’inspir et que la dernière action sera l’expir. Entre temps l’énergie que nous avons disponible va répéter le schéma de l’inspir et de l’expir et ce de manière plus ou moins régulière et permettre par ce processus l’échange entre le milieu extérieur et le milieu intérieur. L’alimentation suit un processus périodique aussi et contribue avec la respiration à l’établissement de l’homéostasie. Ce que permet le tai chi c’est la prise de conscience d’une « respiration » du corps d’abord en statique, puis dans tout mouvement et enfin dans l’interaction avec l’autre.

De la respiration du corps

          En pratique que signifie « respiration du corps » ? Je vous propose l’expérience suivante : debout, jambes écartées telles que les pieds sont séparés d’une largeur d’épaules, aucune articulation n’est verrouillée, la tête est plantée dans le ciel de telle sorte que toute tension supplémentaire est aussitôt relâchée. La sensation qui en résulte est celle du poids dans les jambes et une sensation de légèreté vers le haut. Attention à ne pas verrouiller le pli de l’aine, car dans le cas contraire la conséquence serait d’avoir vos lombaires verrouillées et toute circulation du haut vers le bas et du bas vers le haut ne pourrait se faire.

          Ces précautions faites, levez les bras, paumes tournées vers le visage, les coudes « pendants », avec une sensation de petit ballon sous les aisselles comme si vos bras reposent dessus. On se réfère souvent à cette posture comme étant celle de l’arbre. De fait notre corps semble délimiter 2 Ceci sera notre point de départ. Et même si cela semble évident : la terre est en bas et le ciel en haut ! C’est-à-dire chaque fois qu’il y a une prise de conscience d’une tension dans le corps nous devons être capable d’ouvrir un espace pour que cette tension circule jusqu’à la terre… le point de vue adopté ici n’est pas de faire circuler les tensions mais plutôt de créer des espaces pour que ces tensions circulent. La remarque est d’autant plus importante car dans le 1er cas « faire circuler » signifie recruter une énergie musculaire qui aurait pour effet de rajouter des tensions sur des tensions existantes. Dans le 2ème cas il s’agit de détendre des zones de telle sorte que les tensions dont on a pris conscience peuvent s’écouler et donc circuler. Ainsi on privilégie l’écoute à l’action.

          Ces quelques principes de base étant posés nous pouvons nous tourner vers un début de remise en route de cette respiration corporelle. Pour ce faire imaginons dans un 1er temps que nous nous trouvons à l’intérieur d’un grand ballon : la partie intérieure de son enveloppe au contact de notre « partie extérieure » (nous sommes toujours dans la posture de l’arbre). Autrement dit ce ballon exerce une pression sur notre dos, la nuque, le sommet du crâne, la partie extérieure de nos bras jusqu’au bout des ongles (souvenez-vous les paumes regardent votre visage), ainsi que la partie extérieure des jambes, les plantes de pieds. En prenant conscience de cet enserrement, à la contraction de ce ballon exerçons une poussée contraire : nous exerçons un étirement centrifuge comme pour résister à la contraction centripète. Maintenons cet étirement quelques instants, par exemple une dizaine de secondes, puis cessons d’exercer cet étirement en nous concentrons sur le ressenti qui résulte de cette libération. Puis répétons l’opération plusieurs fois jusqu’à l’obtention d’une sensation suffisamment nette qui traduira d’un certain état intérieur. Peut-être serez-vous en mesure de percevoir que le corps induit la même réaction que lorsque vous avez étiré un ressort, celui revient à une position de repos.

          Dans un 2ème temps, toujours dans la position de l’arbre, imaginons un autre ballon : celui que nous enserrons de nos bras, nos jambes, notre poitrine, notre abdomen, notre menton. Ce ballon exerce une expansion et en retour nous le contenons en exerçant une « contraction » de tout le corps. Maintenons cette contraction pendant une dizaine de secondes et comme précédemment cessons cet effort pour écouter la sensation qui en résulte. Répétez plusieurs fois jusqu’à avoir une sensation plus nette. Là encore vous pourriez percevoir l’analogie avec le ressort : lorsque trop comprimé il revient à une position de repos.

          Vous avez peut-être déjà compris : ces 2 ballons n’existent pas car votre corps est finalement la membrane de ce ballon dont la partie externe est en lien avec l’environnement extérieur et dont la partie interne est en lien avec le milieu intérieur. Et l’exercice proposé et une proposition pour retrouver l’élasticité de cette membrane et retrouver l’échange entre milieu extérieur et milieu intérieur. Cet échange constitue une respiration qui généralise la respiration « pulmonaire ». D’ailleurs dans cette pratique la respiration « pulmonaire » s’harmonise avec la respiration du corps, mais nous ne nous focalisons pas dessus.

          Regardons les conséquences de cet exercice dans notre rapport à l’autre puisque nous sommes dans un échange entre le milieu extérieur et le milieu intérieur. Nous n’avons pas parasité l’espace d’échange par une action mis plutôt privilégié l’écoute qui a entraîné des conséquences dans notre corps. Dans « l’étirement » nous créons un espace pour que quelque chose rentre et dans un 2ème temps nous restituons ce qui a été « digéré »…. Ce simple exercice est très riche quant à la compréhension de la notion d’échange tant au niveau de notre propre corps que dans une perspective plus générale que ce soit dans notre rapport à l’autre mais aussi dans notre rapport à notre environnement immédiat.

          Peut-être qu’un jour nous aurons l’occasion d’échanger sur vos diverses ressentis, un jour où la peur sera un mot suranné car la peur est un barrage à la notion d’échange. En attendant pratiquez et … vivez ….

Inspir (=extension) … Libère (= sensation centripète) …

Expir (=contraction) … Libère (= sensation centrifuge) …

Etc …

Vivez !