Auteur : Daniela Engel, médecin et thérapeute
Date : 27/11/2021
Temps de lecture : 10 minutes, mais pensez à une rallonge pour entrer dans les exercices pratiques.


Le mental : à quoi ça sert ?

Le mental regroupe toutes les fonctions cognitives de l’être humain. Cela regroupe à la fois les fonctions d’intégration des sens : vision, tact, goût, audition, olfaction ; mais aussi les fonctions d’apprentissage et de mémorisation, ou encore les fonctions plus complexes comme la réflexion, les élaborations de projets concrets, la planification, les abstractions, l’imagination. Retenez que cela se passe dans le cerveau, au niveau des circonvolutions cérébrales du cortex. Le cortex étant la « matière grise » qui s’est fortement développée chez les grands singes et les humains lors de l’évolution des espèces.

Avoir un « mental fort » est une formule souvent préconisée aux compétiteurs, qu’ils soient sportifs ou joueurs de poker, étudiants préparationnaires ou traders chevronnés. Le mental devient alors synonyme d’un caractère volontaire qui « ne lâche rien ».

À l’inverse, les personnes qui suivent une voie spirituelle ou cheminent vers la pleine conscience se sentent souvent bloquées par leur mental et s’entrainent d’une manière parfois tout aussi compétitive à la méditation qui consiste à « lâcher le mental ».

Or le mental, s’il est bien utilisé, est un outil fort utile par exemple pour mettre en forme les idées, les communiquer et transmettre un savoir. Sans mon mental, je ne pourrais coucher ces mots sur le papier (ou plutôt le clavier de mon ordinateur). Sans votre mental, vous ne seriez pas en train de lire ces lignes.

Si, à l’issue de la lecture de ce texte, aucun exercice pratique n’était proposé, cela resterait une simple stimulation mentale. Je vous invite donc à pratiquer l’un ou l’autre des exercices ci-après, pour que vous puissiez non seulement savoir comment fonctionne votre mental, mais aussi expérimenter et jouer un peu avec lui pour mieux le connaître.

Quelques exercices pour jouer avec les fonctionnalités du mental

Un des traits du mental est de tourner en boucle.

C’est facile à observer et même à provoquer. Par exemple, prenez un air de musique ou de chanson connus et chantonnez-les discrètement dans une assemblée ou auprès de votre conjoint. Il est fort probable que quelques minutes plus tard, les autres personnes se mettent à fredonner ce même air. Cette fonctionnalité est très importante lors des processus d’apprentissage, elle devient plus agaçante lorsque ce sont des idées préoccupantes qui se succèdent dans une ronde infernale.

Un des moyens les plus efficaces pour couper ce phénomène est de se mettre en observateur de nos pensées. Un maître mot est la curiosité, qui est plus un attribut de la conscience que du mental, qui est un simple exécutant de la conscience. Soyez donc curieux de voir comment s’enchaînent les pensées qui vous tourmentent et à quel rythme obsessionnel elles se succèdent.

Un autre trait du mental est de catégoriser et classer.

Vous pouvez, par exemple, observer que ce sont des pensées du passé (pas forcément lointain, ce qui s’est passé dans votre matinée ou dans la journée) ou au contraire, des projections du futur (ce qu’il y a à faire le lendemain ou dans les jours qui viennent ou dans cinq minutes) qui se bousculent dans votre tête. Pour vous aider, vous pouvez encore mieux vous mettre en observateur en utilisant le corps : levez l’index de la main gauche lorsque la pensée appartient au passé et l’index de la main droite si le futur s’invite dans vos mentalisations. Cet exercice va vous permettre de vous recentrer dans l’instant présent.

Une autre caractéristique du mental est de s’exercer.

Un autre exercice de recentrage consiste à fermer les yeux et imaginer sur votre écran intérieur des rails de chemin de fer qui s’étendent à l’horizon et de les suivre du regard.

Si vous êtes particulièrement pris dans vos pensées, vous pouvez imaginer sur ce même écran intérieur un spot lumineux qui vient danser lentement en faisant le signe de l’infini. Vos yeux pourront doucement suivre le mouvement, cela les détendra.

Le mental est aussi mis à contribution lors des défis et les nouveautés.

Les pensées se bousculent encore ? Mettez-vous à les guetter comme le ferait un chat pour une souris : quelle sera la prochaine… ? Pendant un court instant, les pensées cessent parce que vous avez demandé à votre mental de se concentrer sur la tâche de guetter la suite ! Même si, au début, ça ne dure que quelques fractions de secondes, savourez ce temps suspendu sans pensées.

Le mental permet de se focaliser sur une tâche.

Ça ne lâche toujours pas ? Essayez la respiration consciente. Que ce soit la cohérence cardiaque ou tout autre type d’exercice de respiration (vous trouverez des exercices dans la thématique respiration), rien de tel pour calmer le mental.

Que faire des pensées perturbantes générées par notre mental ?

La première des choses à faire est de constater que la pensée est perturbante par l’inconfort qu’elle produit dans le corps. En effet, le corps réagit toujours par nos productions mentales. C’est d’ailleurs ce que cherchent à obtenir les réalisateurs de film : nous emmener vers des ressentis et susciter notre émotion. Notre écran mental intérieur, nos projections ont toujours un effet sur le corps. Lorsqu’on joue un scenario catastrophe, le corps peut commencer à percevoir des signes de danger : oppression thoracique, vague inquiétude, nœud à la gorge et au ventre, le cœur qui s’accélère. Le corps perçoit comme quasi réel un danger qui n’existe pas réellement dans l’instant présent.

Si on porte l’attention sur ce qui se passe dans le corps, cela va s’apaiser car le mental est utilisé pour observer et non plus laisser en roue libre à faire tourner des pensées perturbatrices en boucle. Là aussi, une pause de respiration consciente sera la bienvenue pour rassurer le corps et retrouver de la détente.

Continuons d’observer la pensée perturbante. On peut détourner le mental de cette pensée en l’inscrivant sur un morceau de papier. En l’entourant de guillemets ou en la mettant entre parenthèse car finalement, ce n’est qu’une pensée.

Par exemple : « Je n’arriverai jamais à finir cet article à temps… »

Je peux aussi remplacer le pronom « je » par « cette pensée », cela donne :

« Cette pensée n’arrivera jamais à finir cet article à temps. »

Je peux aussi clamer la phrase sur un ton théâtral, avec une voix de souris ou au contraire, une voix d’éléphant. Je peux laisser mon imagination trouver un air et chanter cette chanson de façon tragique ou au contraire, sur un air langoureux. L’exagération va permettre de dédramatiser et de relativiser. Si je me laisse embarquer par mon mental, c’est sûr, jamais je ne pourrais finir cet article et le rendre à temps ! L’humour est comme la curiosité. Il est une des caractéristiques de la conscience et du mental. Ce coquin de mental sera vite emballé par la proposition de mettre plus de légèreté là où il y avait, au départ, de la lourdeur. Ne me croyez pas sur parole, essayez !

On peut aussi jouer avec le mental en le voyant comme un marchand de tapis : « Tiens tiens, il veut me vendre cette idée, mais est-ce bien utile ? Est-ce que j’en ai besoin ? Est-ce que ça se recycle ? Est-ce que ce ne serait pas un objet trop encombrant ? »

Il existe un moyen d’annuler une pensée perturbatrice que je trouve assez subtile et qui est proposée dans les livres illustrés d’Art-mella [1].

Je reprends ma pensée perturbatrice :

« Quand je vois que le temps passe et qu’il me reste deux jours pour rendre mon article, j’ai l’impression que je n’arriverai jamais à le finir. »

La première partie de la phrase est réelle et je ne peux pas la changer. La deuxième partie de la phrase concerne ma réalité, mon impression, or, je peux essayer de la changer en l’annulant, c’est-à-dire en disant son contraire.

Cela donne : « C’est justement parce que je vais finir mon article que je vois que le temps passe et qu’il me reste encore deux jours ». Au début, j’ai l’impression que cela ne veut rien dire, mais en répétant la phrase et en laissant le cerveau réfléchir et adopter une nouvelle boucle, mon optique peut changer. Oui je vais finir cet article et oui le temps qu’il me reste est à la fois court et suffisamment long ! Ça y est, je sors de la pensée limitante et je vois toutes les facettes de la réalité.

Un autre exemple pour que vous puissiez mieux comprendre ou être tenté de faire l’exercice.

« Quand j’entends toute ces mauvaises nouvelles à la télévision, j’ai l’impression de vivre dans un monde de fous. »

C’est justement parce que je vis dans un monde très cohérent que j’entends toutes ces mauvaises nouvelles à la télévision.

C’est là qu’est toute la subtilité de l’exercice : vous êtes cohérent avec vous-même et donc, il est logique que vous entendiez ces mauvaises nouvelles ! Si le monde extérieur n’est pas cohérent, vous n’y pouvez rien, or, il est normal que vous ressentiez une tension en entendant les mauvaises nouvelles. Pour aller plus loin, vous pourriez vous demander ce que ces mauvaises nouvelles vous apprennent de plus sur vous-même, sur le besoin de cohérence, mais encore ? Sur le besoin de plus de justice, d’équité, de sécurité ? Quel serait le plus petit pas que vous puissiez faire ici et maintenant pour ressentir plus de justice, de sécurité ? Éteindre le poste me semble une solution simple, immédiate et efficace !

Encore un autre exemple de la vie courante :

« Quand j’appelle les enfants pour se mettre à table et qu’ils ne répondent pas, je me sens désemparée et irritée. »

C’est justement parce que j’ai plein d’imagination et que je suis plutôt cool que les enfants ne répondent pas quand je les appelle pour se mettre à table.

Là aussi, cela ne veut, a priori, rien dire la première fois. Cependant, si on laisse le cerveau faire un switch, une bascule vers l’acceptation d’une autre réalité intérieure, la créativité peut revenir. Je peux décider de me mettre à les appeler en chantant, en faisant la sirène, en actionnant une clochette, en allant m’intéresser à ce qui captive tant leur attention, alors que la faim devrait être présente, etc. Au final, c’est cool d’être une maman pleine d’imagination !

Et la pensée positive alors ?

Vous l’aurez compris, si le mental se détend par l’attention portée à l’instant présent (tous les exercices proposés consistent à focaliser l’attention sur une tâche précise à effectuer dans le présent), il se muscle par la pensée positive.

En effet, comme dit précédemment, le corps ressent ce que notre mental projette sur notre écran intérieur. Il est normal que ce soit assez fréquemment des scénarii catastrophe. Cela vient du fait que nous sommes des êtres vulnérables et que, tout au long de notre évolution, notre survie s’est maintenue grâce à cette faculté de prévoir le pire, afin de l’éviter au mieux. Or, dans l’ici et maintenant, nous sommes la plupart du temps hors de situations de danger immédiat. Donc il n’est pas utile de se projeter négativement. On peut alors reprendre notre exercice de voir le mental comme un vendeur de tapis. Et on peut aussi entraîner notre mental à la pensée positive. Par exemple, on peut l’utiliser pour chercher dans notre passé un souvenir agréable et voir ce qui est le plus présent pour en faire une carte postale vivante.

Qu’est-ce qui est le plus vivant lorsque je repense à ce souvenir : une sensation, une image, une pensée, une émotion ? Laissez-vous revivre l’évènement comme si vous y étiez et revenez plusieurs fois sur les sensations, images, pensées ou émotions en laissant vos souvenirs enrichir votre carte postale. Vous pouvez refaire le film de vos vacances ou de cette rencontre avec des amis, ou de cette marche en forêt, etc.

On peut aussi utiliser l’appréciation de la beauté : balayez la pièce où vous vous trouvez du regard et laissez la beauté s’inviter dans votre champ visuel. Est-ce un tableau, un coin de ciel bleu, un objet. Regardez-le en détail et voyez l’effet que cela fait à votre corps : votre respiration change, vos épaules se détendent, vous avez envie de soupirer, de vous étirer ou de bailler, voyez comme votre physiologie se modifie lorsque vous utilisez cette force que nous portons en chacun de nous, qui est l’appréciation de la beauté. Peterson et Seligman [2] ont décrit 24 forces que nous portons tous en nous et qui sont au service d’une vie heureuse.

Vous pouvez aussi vous connecter mentalement avec le visage d’un être cher ou d’un animal familier. Laissez-vous bercer par son regard et voyez ce que cela induit comme changement dans votre ressenti. Un petit moment de bienveillance en pensée vous amènera la détente et l’énergie coup de pouce pour poursuivre votre tâche tout simplement en sortant du pilotage automatique de votre mental. L’expression de la gratitude est aussi une des vertus de la conscience.

Si vous êtes aux prises avec un projet que vous aimeriez voir aboutir, vous pouvez imaginer comment vous vous sentiriez lorsque ceci adviendra et faire le même exercice de visualisation : détaillez toutes les images, les sensations, les pensées, les émotions, les comportements. Reprenez deux ou trois fois tous les éléments qui se rajoutent à la manière d’un puzzle, jusqu’à obtenir la grande image de votre succès.


À Retenir

  • Le mental est un outil fort utile au service de la conscience. Développer la conscience de l’ici et maintenant permet de déjouer le mental.
  • Tout comme pour les émotions, il est inutile de lutter contre les pensées, car, ce contre quoi on lutte se renforce. Mieux vaut apprendre à apprivoiser notre mental et à accueillir nos émotions.
  • Si vous vous contentez de lire cet article sans mettre en application les quelques exercices pratiques, c’est que votre mental vous joue un tour !

Références

[1] Emotions : enquête et mode d’emploi, Tome 1 Art-mella. Éditions Pourpenser

[2] Christopher Peterson et Martin E. P. Seligman sont les pères de la psychologie positive.