Auteur : Dr Daniela ENGEL, médecin homéopathe et thérapeute, DU de micronutrition, pour REINFOSANTÉ
Date : 20/06/21
Temps de lecture : 7 minutes


Il y a, dans un des placards de ma cuisine, une place dédiée au sucre et ses dérivés. On y trouve tout en haut du chocolat, du noir à l’orange, du noir aux amandes, du fourré pralin ou encore, une tablette au lait et noisettes. Parfois, l’un ou l’autre paquet de petits biscuits industriels. Un étage en dessous, on trouve le miel, la pâte d’amande, les confitures maison de Mamie, le sucre rapadura et sa couleur cuivrée dans un bocal hermétique. Le sucre blanc raffiné a disparu de l’étagère depuis de nombreuses années. Plus bas, le chocolat noir à pâtissier, à côté du sucre vanillé et de l’eau de fleur d’oranger, des raisins secs, des figues, des dattes, des abricots, des amandes, des noix de cajou.

Cet étage du haut me pose problème : quand il y a du chocolat, il disparait très vite, parfois mystérieusement, l’emballage vide témoigne de son existence, mais plus rien, disparu, volatilisé… Et si la réserve est épuisée, le chocolat noir de pâtisserie monte d’un cran, pour finir sous les crocs des gourmands de la maisonnée.

La porte de ce placard de buffet fait un petit grincement facilement repérable quand on l’ouvre, on a baptisé ce son « l’appel du sucre ». Il couine assez régulièrement quand arrive une petite faim ou après que la table soit débarrassée et la vaisselle terminée. C’est la récompense d’après la vaisselle, la petite touche sucrée de fin de repas, le goûter sucré.

Dans cet article, vous trouverez des explications sur le fonctionnement du circuit de la récompense, ce réseau de neurones qui nous fait nous tourner vers le sucre comme source de plaisir. Vous trouverez aussi des pistes à explorer pour modérer cet « appel du sucre ».

Le circuit de la récompense

Sans plaisir, la vie ne vaudrait pas d’être vécue. Ainsi, celle-ci s’est-elle arrangée pour associer les grandes fonctions indispensables à la survie de l’espèce au plaisir.

Le circuit de la récompense [1] est, en effet, essentiel à la survie de l’espèce : nourriture, soins maternels, reproduction, sexualité, évitement des situations de danger.

Les plaisirs nous fournissent des motivations à entretenir la vie et à la transmettre : chercher de la nourriture pour en ressentir les bienfaits, chercher un partenaire pour engendrer une descendance, prodiguer des soins maternels aux petits, tout cela n’aurait pas la même dimension si la notion de plaisir n’y était attachée. Toutes les expériences de la vie sont mémorisées en termes de plaisir ou déplaisir, de comportements à renforcer ou au contraire, à éviter.

Le goût pour le sucre est très précocement associé au plaisir. Le lait maternel étant sucré, le bébé associe très vite le goût sucré avec le plaisir que procure la satisfaction de combler le besoin vital de se nourrir et d’apprécier la satiété.

Bien au-delà, il apprécie le contact avec sa mère ou à défaut, la personne qui s’occupe de lui (on parle de la figure d’attachement).

C’est donc dès le début de la vie que se construit une histoire personnelle autour du sucre. De nombreux souvenirs d’enfance sont reliés au plaisir sucré : les récompenses sous forme de bonbons et autres friandises, les goûters d’anniversaire, les desserts du dimanche chez les grands parents.

Le réconfort que le sucre procure est donc d’abord physiologique (le glucose est le carburant principal du cerveau, avec l’oxygène) et, ensuite, psychologique. De même, il y a une faim physiologique (quand l’estomac grogne) et une faim psychologique, qui est issue de la petite voix qui nous dit « je me mangerais bien un petit quelque chose ». Souvent, ce sont les bonnes choses qu’on mange sans faim qui s’invitent alors.

Le sucre a de nombreux avantages :  il remonte une hypoglycémie en quelques minutes, apaise le stress, calme les émotions et procure du bien-être de façon assez rapide, mais non durable. Il favorise aussi l’endormissement.

Du plaisir à l’addiction

Le circuit de la récompense est un réseau de neurones qui connecte différentes structures du cerveau, notamment une zone corticale (le cortex préfrontal) à des zones plus profondes et plus anciennes du cerveau, qui sont en lien avec les réactions émotionnelles ou les états de stress et la mise en mémoire (le cerveau limbique). Le neurotransmetteur qui circule dans ce circuit est la dopamine, aussi appelée « hormone du plaisir ».

La dopamine va induire la sensation de plaisir, mais son action est de court terme. Pour éprouver du plaisir, il faudra donc à nouveau rechercher ce qui a allumé le circuit de la récompense. Il se trouve que les aliments gras et sucrés ont le même défaut que les substances opioïdes ou la nicotine et l’alcool : pour avoir le même plaisir, il faut augmenter les doses, l’effet devient addictif. Le sucre peut alors devenir une drogue « douce ». Les industriels ne s’y sont pas trompés, de nombreux sucres cachés sont présents dans leurs préparations. Outre les capacités du sucre à corriger l’acidité d’un plat, à masquer des denrées alimentaires de moindre qualité en couvrant le goût ou en contrebalancer une saveur amère ou à conserver les aliments, il entretient et stimule le goût sucré des consommateurs en séduisant les petits et les grands.

Détourner l’appel du sucre : les autres sources de plaisir à la rescousse

Si le sucre est un puissant stimulant du circuit de la récompense, il y a d’autres sources de plaisir qui ne sont plus au service de la survie, mais participent à notre épanouissement personnel.

De façon très basique, le sucre comble le besoin fondamental d’avoir un accès à une source d’énergie rapide et facile à utiliser. Le drame de nos sociétés, c’est que le sucre est omniprésent (ALIMENTATION n°7 : Le sucre se cache partout ! Lire une étiquette nutritionnelle), il n’y a qu’à voir les rayonnages de supermarchés : des mètres et des mètres de bonbons, tablettes de chocolat, petits gâteaux, brioches, viennoiseries, confitures, pâtes à tartiner, « céréales » (ALIMENTATION n°9 : Les céréales du petit déjeuner sont trop sucrées et trop transformées) du petit déjeuner, barres en tout genre. Idem au rayon frais : yaourts sucrés, aromatisés, mousses, pâtisseries et autres. Cet accès facile à du plaisir immédiat entretient l’appel du sucre.

Or, on connait aussi les dégâts de ce déséquilibre de sucres rapides par rapport aux sucres complexes dans l’alimentation. Cela va du surpoids à l’obésité, en passant par le diabète de type 2, les classiques caries, les maladies cardiovasculaires, le vieillissement prématuré, la perturbation de la flore intestinale, la fatigue chronique ou, à l’inverse, l’hyperactivité chez les enfants, sans parler de l’appétence particulière des cellules cancéreuses pour le sucre.

Dès lors, comment modérer cet appel du sucre, afin que le sucre reste à sa juste place dans une alimentation saine, variée et source de bien-être et de santé ?

Il y a plusieurs éléments importants que vous devez connaître, plusieurs astuces à intégrer de manière quotidienne pour déjouer les pièges du sucre. À commencer par vous questionner sur votre faim : est-ce une faim physiologique ? Psychologique ? Qu’est-ce que cette envie de sucré me dit sur moi ? Y aurait-il un besoin à combler que je n’aurais pas identifié ? Est-ce de l’ennui, de la frustration ? Qu’est-ce que j’ai comme autres ressources pour venir activer le circuit de la récompense ?

Au final, la faim psychologique peut nous indiquer un manque à combler, mais, même sans avoir consciemment identifié ce manque, vous avez le choix de sortir consciemment de ce schéma très classique de compenser un manque par le soulagement immédiat que procure le sucre. Pour cela, il sera peut-être utile de lire l’article « changer ses habitudes ».

Il existe mille et une possibilités pour venir activer le circuit de la récompense, mille et une façon de se faire plaisir en fonction des goûts de chacun.

Il faut savoir que la pulsion au sucré ne dure que deux à trois minutes et que, durant ce temps, vous pouvez choisir une activité qui vous amène du plaisir.

Voici quelques exemples concrets pour vous inspirer :

  • Faire une pause de respiration en pleine conscience : cohérence cardiaque (GESTION DU STRESS n°2 : La cohérence cardiaque), respiration 4/7/8.
  • Écouter avec attention un ou deux morceaux de musique de votre playlist préférée. J’ai personnellement une playlist de musique dont chaque morceau me ramène à un souvenir précis de partage avec des proches ou des amis, mon circuit de la récompense s’allume très facilement lorsque je l’écoute.
  • Faire quelques étirements ou une séance de sport plus poussée.
  • Ouvrir un album-photos ou votre magazine préféré.
  • Faire un origami, un coloriage ou une autre petite création.
  • Se masser les mains, les pieds, le visage.
  • Passer un coup de fil à un ou une amie, prendre des nouvelles d’un proche.
  • Admirer un paysage, repérer la verdure, la caresser du regard, noter quelques petits détails, des nuances de couleurs, la présence d’oiseaux, etc.
  • Apprécier les ronrons du chat ou le regard attendrissant d’un animal de compagnie.
  • Faire une pause et se relier à son sourire intérieur (SANTÉ DES ANCIENS n°4 : Le sourire, le messager du bonheur) et le laisser fleurir sur votre visage.
  • Faire une pause de méditation guidée.

Il y a de nombreuses occasions de faire des pauses dans nos vies trépidantes et hyper (dé)connectées. Il est important de ne pas passer à côté de toutes les petites lueurs que nous offre la vie, afin de maintenir vivant notre émerveillement. Ces petits riens, ces pauses conscientes nous reconnectent aux plaisirs et aux joies simples et viennent apporter un tout autre carburant que l’énergie brute du sucre.

Vous pouvez aussi faire un parallèle entre cette gratification, qui résulte de l’activation du circuit de la récompense, et la gratitude à ressentir ce bien être. La pratique de la gratitude est utilisée avec beaucoup de bénéfice pour le développement personnel. Dire merci est, au-delà des convenances de politesse, un bonheur simple, accessible et puissant [2].

Si toutefois l’appel du sucre est trop important, accordez-vous ce plaisir, mais faîtes-le en conscience [3], en prenant le temps de savourer, d’abord regarder la friandise, puis la prendre, de la sentir, la goûter du bout des lèvres, la laisser sur votre langue, de la mordre discrètement, d’apprécier les différentes saveurs, de reconnaître le sucré, mais aussi de pister les autres, les saveurs, les parfums, attendus ou nouveaux. Ce sera une expérience beaucoup plus riche que d’avaler machinalement, tout rond, sans prendre le temps de savourer. Surtout, ne luttez pas contre, car la pulsion ne fera que se renforcer et vous risquez de surcompenser avec la quantité, puis de culpabiliser d’avoir craqué et de ressentir de la frustration, il vous faudra alors, encore et encore, compenser vers le sucre. Pour certains, il sera utile de se faire aider et d’avoir un vrai programme pour se libérer du sucre [4].

Pour finir, j’aimerais attirer votre attention sur la confusion qui peut exister entre la faim et la soif.

Lorsque la sensation de soif apparaît, c’est qu’il y a déjà des modifications importantes qui se sont produites dans l’équilibre du corps. Il est conseillé de ne pas attendre d’avoir soif pour boire, surtout chez les enfants et chez les personnes âgées.

De plus, en fonction des états de tensions émotionnelles ou de stress, on peut être comme coupé de la soif. Si nous compensons des manques d’ordre psychologique par le recours au sucré, on risque de prendre l’habitude de boire des sodas ou des jus de fruits, alors que l’eau suffirait à étancher notre soif.

L’astuce est alors d’avoir à disposition de l’eau. Éventuellement de l’agrémenter d’une rondelle de citron, de quelques feuilles de menthe. Ou d’avoir une bouteille isotherme remplie de votre tisane préférée (Lire L’eau source de vie et de bien-être).

À Retenir

  • Le sucre et les sucreries amènent calme, détente et bien-être, mais l’effet est de courte durée et il y a un prix à payer, car les répercussions sur la santé d’une consommation disproportionnée de sucres (surtout les sucres rapides) sont un réel problème de santé publique.
  • La faim physiologique est facile à différencier de la faim psychologique. La faim psychologique vient nous indiquer qu’un besoin (autre qu’alimentaire) n’a pas été comblé.
  • Il est important de ne pas confondre la faim et la soif.
  • Le circuit de la récompense est lié à la survie de l’espèce, mais notre créativité, notre imaginaire, notre capacité à nous projeter nous permettent d’accéder à des sources de plaisir variées qui peuvent moduler l’appel du sucre.

Références

[1] « Reward behaviour is regulated by the strength of hippocampus-nucleus accumbens synapses », Tar A. Le Gates, Mark D. Kvarta, Jessica R; Tooley, T. Chase Francis, Mary Kay Lobo, Meaghan C; Creed &Scott M. Thompson. Nature 564, 258-262 (2018)

[2] 3 kifs par jour et autres rituels recommandés par la science pour cultiver le bonheur, Florence Servan-Schreiber. Éditions Marabout, 2011

[3] Un zeste de conscience dans la cuisine. Dis-moi comment tu manges, je te dirai qui tu es, Isabelle Filliozat. Poche Marabout, 2012

[4] 1 mois pour se libérer du sucre, Nathalie Majcher, Édition Hachette bien-être, 2018